Mise en réserve des bénéfices sociaux

La mise en réserve systématique des bénéfices n’est pas nécessairement constitutive d’un abus de majorité

Avant la tenue des assemblées générales annuelles d’approbation des comptes et d’affectation des résultats, il est bon de rappeler que les décisions collectives décidant de mettre en réserve les bénéfices de la société ne sont pas nécessairement empreintes d’abus de majorité.

En effet, l’abus de majorité est caractérisé par l’existence de deux conditions cumulatives, à savoir :

  • Une dimension objective : que la décision soit contraire à l’intérêt social ;
  • ET une dimension subjective : le seul motif de la décision est de favoriser les majoritaires au détriment des minoritaires. La rupture d’égalité des associés doit être intentionnelle.

Par deux arrêts en date du 10 juin 2020 et du 4 novembre 2020, la Cour de cassation rappelle que la mise en réserve des bénéfices n’est constitutive d’abus de majorité que si les conditions susvisées sont démontrées. Or, dans chacun de ces arrêts, il en manquait une.

Il ressort de la première affaire que même sans intérêt pour la société, la mise en réserve des bénéfices n’est pas forcément abusive.

Dans les faits, l’associé minoritaire d’une société demande l’annulation d’une résolution des associés ayant décidé la mise en réserve de plus de 550.000 euros de bénéfices ; il fait valoir que cette résolution, qui fait suite à d’autres mises en réserves, était constitutive d’un abus de la part des associés majoritaires l’ayant approuvée.

La Cour d’appel d’Aix-en-Provence avait accueilli cette demande en rappelant que la mise en réserve systématique des bénéfices, pendant de nombreuses années et sans projet d’investissement ou nécessité de gestion, est susceptible de caractériser un abus de majorité lorsqu’elle a pour effet de priver les associés minoritaires de leur droit aux dividendes. Selon la Cour d’appel, tel était le cas de la politique de mise en réserve poursuivie par la société, estimant que cette politique de pure capitalisation était contraire à l’intérêt social.

La Cour de cassation a censuré cette décision car la Cour d’appel n’avait pas expliqué en quoi la résolution litigieuse avait été prise dans l’unique dessein de favoriser les majoritaires au détriment de l’associé minoritaire.

Dans cet arrêt, la Cour de cassation ne remet pas en cause le fait que la mise en réserve systématique des bénéfices soit contraire à l’intérêt social, la première condition étant remplie, mais indique que la seule contrariété à l’intérêt social n’est pas suffisante pour caractériser l’abus de majorité, la deuxième condition doit être démontrée.

A contrario, dans le second arrêt en date du 4 novembre 2020, la Cour de cassation n’a pas jugé abusive la mise en réserve des bénéfices pendant sept ans de suite, car cette décision de mise en réserve était nécessaire pour que la société obtienne un prêt bancaire finançant un projet important, puis une fois le prêt obtenu, d’assurer à la société une capacité de remboursement sûre et durable. En l’espèce, la mise en réserve systématique des bénéfices n’était pas contraire à l’intérêt social, la condition objective pour caractériser l’abus de majorité n’était pas démontrée.

Pour conclure, la mise réserve systématique des bénéfices sociaux, qui prive les associés minoritaires de dividendes, constitue un abus de majorité lorsqu’elle est contraire à l’intérêt social et prise dans le but de favoriser les associés majoritaires au détriment des minoritaires.

Tel est le cas de la mise en réserve qui ne peut pas être tenue pour une mesure de prudence dans un contexte économique difficile dès lors qu’elle est le résultat de l’augmentation de sa rémunération par le gérant majoritaire (Cass. com. 20-2-2019 no 17-12.050 F-D).

Cour de cassation, chambre commerciale, 10 juin 2020, pourvoi n° 18-15.614 F-D

Cour de cassation, chambre commerciale, 4 novembre 2020, pourvoi n° 18-20.409 F-D