Aides d’État

Précisions de la Cour de justice en matière d’apports en capital et critère de l’investisseur privé en économie de marché

Dans un arrêt du 10 décembre 2020, la Cour de justice de l’Union européenne a confirmé que des apports en capital sont susceptibles de constituer des ressources publiques imputables à l’État et donc, des aides d’État. Elle clarifie par ailleurs la charge de la preuve du critère de l’investisseur privé.

La société SEA, gestionnaire de deux aéroports milanais, était entre 2002 et 2010 détenue presque exclusivement par des autorités publiques dont la ville de Milan. En 2002, SEA a créé une filiale (SEA Handling) chargée de fournir des services d’assistance en escale aux deux aéroports et dont elle détient la totalité du capital. Entre 2002 et 2010, la filiale a reçu de sa société mère 359 644 000 euros de subventions sous forme d’apports en capital versés annuellement, pour couvrir un total de 339 784 000 euros de pertes d’exploitation.

Le 19 décembre 2012, la Commission européenne a ordonné à la République italienne de se faire rembourser les sommes perçues par la filiale, au motif qu’il s’agissait d’aides d’État incompatibles avec le marché intérieur aux termes de l’article 107 TFUE. Le 13 décembre 2018, le Tribunal de l’Union européenne a confirmé cette décision. La ville de Milan a saisi la Cour de justice qui, le 10 décembre 2020, a confirmé la position de la Commission et du Tribunal.

Parmi les critères d’identification d’une aide d’État, figure entre autres l’existence d’un avantage accordé, directement ou indirectement, au moyen de ressources d’État, imputable à une autorité publique.

En l’espèce, sur la base d’un ensemble d’indices résultant des circonstances de l’espèce et du contexte dans lequel la mesure est intervenue, la Commission et le Tribunal ont estimé que des ressources publiques avaient bien été utilisées pour réaliser les apports en capital.

En effet, la quasi-intégralité des parts sociales de la société mère étant détenue par des autorités publiques, ces apports étaient imputables à l’État italien.

Les « indices positifs » rapportés par la Commission ont permis d’admettre une implication mais également une improbabilité d’absence d’implication de la ville de Milan dans l’adoption des mesures litigieuses. En effet, selon une jurisprudence constante de la Cour de justice, est pertinent tout indice indiquant, ou bien une implication des autorités publiques ou l’improbabilité d’une absence d’implication dans l’adoption d’une mesure, ou bien l’absence d’implication desdites autorités dans l’adoption de ladite mesure (CJUE, 17 septembre 2014, Commerz Nederland, C‑242/13, point 33).

La Cour rejette ainsi les arguments de la ville de Milan qui estimait que la Commission et le Tribunal s’étaient uniquement fondés sur des éléments « négatifs » constitutifs d’une improbabilité.

S’agissant du critère de l’investisseur privé en économie de marché, la charge de sa preuve reste assez floue.

La jurisprudence a développé un standard – le critère de l’investisseur privé en économie de marché – imposant de vérifier si, dans le cadre d’une opération étatique, la mesure examinée aurait pu être adoptée, dans des circonstances correspondant aux conditions normales du marché, par un opérateur privé se trouvant dans une situation analogue à celle de l’État. Si cet opérateur aurait apporté un montant égal à celui de l’investisseur public, il ne s’agit pas d’aides d’État. À l’inverse, si aucune rentabilité à venir, même à long terme, ne se dégage de l’opération, l’opérateur privé n’aurait pas pris une telle mesure. La mesure constitue une aide d’État.

S’inscrivant dans la suite d’un arrêt du 26 mars 2020 (CJUE, 26 mars 2020, Larko c/ Commission, C-244/18 P), la Cour rappelle que c’est sur la Commission que pèse la charge de prouver que les conditions d’application du principe de l’opérateur privé ne sont pas remplies (point 110). Cette preuve ne peut pas se limiter à des présomptions négatives fondées sur l’absence d’informations permettant d’aboutir à une conclusion contraire, en l’absence d’autres éléments de nature à établir positivement l’existence d’un tel avantage. Seuls sont pertinents les éléments disponibles et les évolutions prévisibles au moment où la décision d’investissement a été prise. Il incombe à la Commission de demander à l’État concerné toutes informations pertinentes pour l’examen du critère de l’investisseur privé.

Elle rappelle également que le Tribunal doit s’assurer que la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste dans ses appréciations économiques complexes.

En l’espèce, la Commission a rempli son obligation en déterminant que le critère de l’investisseur privé n’était pas rempli. Alors que la SEA s’était engagée à compenser pendant au moins 5 ans les éventuelles pertes de sa filiale, aucun investisseur privé n’aurait continué d’investir à perte sur une si longue période « sans évaluation préalable appropriée de la rentabilité ou de la rationalité économique de tels investissement ». La Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation.

CJUE, 10 décembre 2020, Comune di Milano c/ Commission, aff. C-160/19 P.