Informatique

L’obtention des preuves pour la réalisation d’un constat d’huissier

Affirmanti incumbit probatio, mais…dans des délais en cohérence avec les faits, nous rappelle la 2ème chambre civile de la Cour d’appel de Dijon dans une décision du 10 décembre 2020.

Un client qui exerce une activité de vente en ligne de matériel professionnel de boulangerie, pâtisserie et chocolaterie a commandé auprès d’un prestataire des travaux de migration vers une nouvelle version de son système de gestion de contenu (CMS) intégrant sa plateforme de commerce électronique.

Un litige est survenu car le client estimait que le prestataire n’avait pas exécuté l’ensemble des prestations commandées, que le site internet n’était pas exploitable et comportait de nombreuses anomalies non corrigées.

Le Prestataire indique quelques mois plus tard avoir corrigé les anomalies, mais est assigné par le client en résolution du contrat à ses torts exclusifs.

Le client a produit au soutien de ses prétentions des constats d’huissier démontrant l’existence d’anomalies non corrigées.

Après que le Tribunal de commerce a rejeté ces moyens de preuve, le client a interjeté appel auprès de la Cour d’appel de Dijon qui va les rejeter également.

Tout d’abord, la Cour analyse la charge de la preuve et donc les règles du « match judiciaire (Y. Lequette et ali., Droit civil Les obligations, éd 12, Paris, Dalloz (Précis), 2018, p. 1977) », en constatant que le grief du client vise l’absence de finalisation du site qu’elle invoque et non l’absence de livraison et dans ce cadre en rappelant que la charge de la preuve lui incombe.

En effet, cette règle indique que (a) celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver et réciproquement (b) celui qui se prétend libéré doit justifier le fait qui a produit l'extinction de son obligation (C.civ. art. 1353). Ceci étant sous réserve (c) qu’il n’existe pas de présomption qui dispense celui au profit duquel elle existe d’en rapporter la preuve (C.civ. art. 1354).

Dans cette espèce, (a) le client réclame l’exécution d’une obligation, celle-ci est évidente puisqu’elle relève du contrat conclu avec son prestataire ; (b) c’est donc au prestataire de prouver l’exécution, mais (c) il est constant que le prestataire a exécuté son obligation de livraison : le prestataire bénéficie donc d’une présomption de finalisation du site.

C’est pourquoi, la charge de la preuve se trouve renversée et la Cour demande au client de prouver l’absence de finalisation.

Ensuite, la Cour analyse les moyens de preuve fournis pour rejeter les constats d’huissier produits par le client, comme dénués de force probante quant au défaut de finalisation du site.

Mais, dans cette analyse, ce qui est remarquable c’est que ce n’est pas le contenu des constats qui pose problème, mais leur date de réalisation.

Quatre d’entre eux constatent en effet des anomalies, mais les constatent avant la date de livraison. Tout se déroule comme si le client essayait de démontrer que des anomalies existaient avant que le site internet ne soit livré. Même avant la livraison, un profane en informatique pourrait en effet être choqué et considérer qu’aucune anomalie ne doit être détectée. En réalité, cette situation est tout à fait habituelle dans le cadre de projets informatiques au cours desquels il y a toujours une phase de rodage où le système apprend à fonctionner dans l’environnement dans lequel il a été intégré : les corrections sont nécessaires à ce stade avant la livraison définitive.

Un autre constate également des anomalies, mais tardivement cette fois, près de 14 mois après la livraison. Ainsi, le prestataire a livré le site, puis ce n’est que 14 mois plus tard que le client réalise un constat d’huissier et l’oppose à son prestataire en indiquant qu’il y a de nombreuses anomalies.

Le juge rejette sa force probante, mais il motive ce rejet par des éléments sans lesquels il est fort probable qu’il aurait admis le constat comme moyen de preuve suffisant.

En d’autres termes, il ne suffit pas de produire un constat réalisé 14 mois après la livraison définitive des prestations, encore faut-il a minima démontrer que l’état dans lequel se trouvait le site à la date de livraison était identique à son état au jour du constat, 14 mois plus tard (une sauvegarde aurait pu être pertinente) et, à titre accessoire, éviter d’avoir recours au service d’un tiers pendant cette période, pour ne pas laisser planer le doute sur l’imputabilité des anomalies.

L’incertitude et le doute subsistant à la suite de la production d’une preuve doivent nécessairement être retenus contre celui qui avait la charge de cette preuve (Soc. 31 janv. 1962), a jugé la Cour de cassation, cette preuve a donc dû être rejetée au motif qu’il « ne saurait être retenu que les dysfonctionnements détaillés dans ce procès-verbal de constat soient de manière certaine imputables » au prestataire.

Constatons ainsi qu’il y a ici peut-être, dans la réalité, une erreur du prestataire, mais celle-ci n’étant pas démontrée, tout se passe comme si elle n’existait pas : comme le dit l’adage Idem est non esse aut non probari (« C’est la même chose de ne pas être ou de ne pas pouvoir être prouvé »).

L’idéal en vue d’un contentieux potentiel serait de déployer des procédures internes afin de documenter et de se réserver, dans l’action et non pas a posteriori, les preuves de toutes situations litigieuses.